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Terroirs de Chefs

« La blasitude de Monsieur Brillat-Savarin »

« Brillat-Savarin n’a rien de très sérieux dans les idées

C’est un buveur d’eau de Seltz,

Hachis parmentier

Un petit-maître, qui se préoccupe autant de faire briller son esprit que son appétit.

Cependant Brillat-Savarin (…) a hérité de toute la gloire qui revenait à Grimod de la Reynière. Pourquoi cela ? C’est que l’auteur ingénieux de la Physiologie du goût, avec ses précautions, ses raffinements, ses mièvreries et ses délicatesses, ouvre la série moderne des tempéraments blasés, tandis que l’auteur de l’Almanach des Gourmands, au contraire, forme celle des tempéraments robustes. »

Ces quelques lignes de Charles Monselet, un gastronome du XIXème siècle, font peut-être de leur auteur un visionnaire tant notre monde présent semble lui donner raison.

“Blasé“, le mot est lâché. Nous sommes tellement revenus de tout qu’il nous faut sans cesse des mets nouveaux dans nos assiettes, au point de préférer déguster un hachis Parmentier “revisité“ - donc… déstructuré… ou déconstruit… puis restructuré d’une savante manière afin de lui ôter toute sa saveur d’origine - à celui que préparait jadis le bougnat du coin - ma femme me rappelle à l’instant que le bougnat du coin s’est métamorphosé depuis plus d’un an en marchand de strings vintage et pâtes soba bio sur Internet.

Les modes se succédant selon la volonté des prescripteurs de tendances qui, comme chacun sait, exècrent le mercantilisme, les “tempéraments“ robustes reviendront le vent en poupe dans quelques années, lorsque l’anorexie ne sera plus fashion et que les plats roboratifs de la mère Brazier seront redécouverts par des chefs japonais, ou chinois, que n’effarouchera pas le poids de nos traditions. Ainsi, peut-être, la cuisine française retrouvera-t-elle une identité bien malmenée et ses lettres de noblesse entre des mains asiatiques ; revisiter un plat ne me fera plus penser à un standard du rock réarrangé par un chanteur de salle de bain égaré sur un plateau de télé ; et la poésie des textures magnifiées par l’architecture épurée d’un dressage sur ardoise - même provenant de Bagnères-de-Bigorre - ne sera plus qu’un grotesque souvenir. Grimod de la Reynière retrouvera sa place usurpée par Brillat-Savarin.

Edouard Bernadac

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