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Terroirs de Chefs

L’oreiller de la belle Aurore

De l'art de détourner l'usage de l'oreiller pour réveiller nos papilles

Il est temps de reprendre à nouveau du plaisir.

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Les chefs français étant heureusement revenus du smoothie aux fruits de mer et autres expériences culinaires n’ayant pour seul titre de gloire qu’une inflation des prix, voilà que les grands classiques de la gastronomie refont apparition dans nos assiettes.

L’Oreiller de la Belle Aurore est de ceux-là.

Et quel oreiller, mazette !

Avec lui, on oublie sans regret tous les machins moléculaires pour rappeler à notre mémoire nos racines de chasseurs nomades de l’époque magdalénienne, ou encore la récente acquisition d’une paire de Holland and Holland que nous retirons religieusement de son étui pour aller illico faire un carton (note de la Préfecture de Police : en respectant le couvre-feu décrété par l’état d’urgence).

L’Oreiller de la Belle Aurore n’est donc point dédié au sommeil, ni aux confidences qui suivent, dit-on, les galipettes, mais à la chasse, à la nature, à la matière. On est là dans le réel, le concret, ce qui n’exclut pas la rêverie, bien au contraire.

Fort en bouche, puissant comme une décharge de chevrotines, sa merveilleuse saveur vous fait clore les paupières de plaisir. Vous entendez alors le colvert fouetter l’air brumeux de ses ailes en s’élevant au-dessus du marais, le sanglier se rembucher tout au fond d’un taillis où même les chiens rechignent à s’engouffrer, le lièvre voler littéralement au-dessus des champs dans un mouvement fluide de grâce et de pureté. Bien d’autres gibiers encore composent ce pâté en croûte ayant pris, selon la fantaisie du cuisinier de Brillat-Savarin qui l’a inventé, la forme d’un oreiller.

Cette préparation complexe, longue et unique en son genre requiert l’expérience et l’amour du travail bien fait.

À Paris, ce chef-d’œuvre, qui aurait pu figurer à la table de Gaston Phébus, vous ait servi par le chef Arnaud Pitrois du Clos des Gourmets. Si vous l’interrogez sur la composition exacte de son plat, vous enhardissant même à vouloir jeter un coup d’œil sur la partition jouée en cuisine, Pitrois vous répondra probablement : « Du marcassin ? Il y’en a !… Du foie gras ? Y’en a aussi !… Du faisan ? Oui. Aussi ! » La scène inoubliable de la cuisine des Tontons Flingueurs risque bien de se reproduire, non plus avec l’alcool bizarre du Mexicain qui fait perdre la vue aux buveurs, mais avec la recette de ce plat extraordinaire qui rend les clients heureux.

L’Oreiller de la Belle Aurore est un ex-voto accroché à la statue de Saint Hubert, un exorcisme pour chasser en enfer le steak de tofu et son paillasson de salsifis bio dans une émulsion de quinoa au gingembre, une lutte romantique contre la boustifaille normalisée de l’industrie agroalimentaire chouchoutée par Bruxelles.

Certains amateurs en reprennent jusqu’à cinq fois, d’autres essayent de soudoyer les commis de cuisine pour l’acheter au noir et l’exfiltrer hors de nos frontières dans un pays voisin. C’est vous dire !

Edouard Bernadac

Terroirs de Chefs

Le Clos des Gourmets

16 Avenue Rapp - 75007 Paris 

Tél : 01.45.51.75.61

www.closdesgourmets.com

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